L'ELOGE DE LA CONCIERGE
Qui n’a jamais vécu ailleurs que dans un immeuble cossu ne peut imaginer la solitude du gardien d’immeuble au moment de sortir les poubelles.
Renée, concierge
quinquagénaire au 7, rue de Grenelle, donne de la voix dans une longue confession
sensible et drôle. Observatrice
invisible des mille et une misères qui s’agrippent aux oripeaux de la
bourgeoise dominante, cette petite bonne femme donne son avis sur tout,
analyse, dissèque, intellectualise aussi, jusqu’à l’invraisemblance. Un être
issu de la France inférieure peut-il connaître la littérature russe, le cinéma
japonais et la phénoménologie ? Ce paradoxe vaut bien un roman. En réponse
à son sanglot intérieur, comme surgie d’une leçon de ténèbres, une autre voix
se fait entendre, celle de Paloma, douze ans, pauvre petite fille riche, qui
s’exprime comme une encyclopédie (en dépit des théories des neuro-sciences qui
affirment que le cerveau adolescent ne peut appréhender l’abstrait et
conceptualiser qu’après quinze ans) et ne désire que fuir la vie et brûler
l’immeuble. Croisement des pensées et des êtres, cheminement des hommes et des
femmes qui vivent, souffrent et meurent dans ce Pot Bouille de l’opulence, les
existences de Paloma et de Renée se frôlent puis se heurtent. Renée Michel,
élégante et triste derrière sa muraille de piquants, délaisse sa peau d’âne
lorsque l’amour semble s’approcher d’elle, adoucissant la rudesse de sa vie
affective. Le sourire et les gestes tendres d’un vieux monsieur japonais
extraient de sa loge celle qui ne désirait plus séduire qui que ce soit.
Monsieur Ozu, dans une même révérence soyeuse et légère, réunira Renée et
Paloma, donnera aux camélias une couleur d’éternité, bousculera la vie terne
d’une femme alourdie depuis l’adolescence d’un terrible secret. Mais à trop secouer les gens on les vide trop
rapidement de leurs larmes et de leurs défenses. Le hérisson traversera la rue
sans prendre garde. Demeurera l’espoir de Paloma, trop tôt désabusée et amère
qui, un instant, aura su se frotter à la vraie vie et se piquer les doigts. Eric
Cabot
L’élégance du hérisson, Muriel Barbery. Gallimard.