Madame Bovary a-t-elle été assassinée ? Personne aujourd’hui
ne se pose la question. Et pour cause, personne ne sait qu’il y a eu une
affaire Bovary.
Du moins une affaire criminelle. Celle qu’on
connaît, c’est la censure du roman de Gustave Flaubert qui osait décrire
l’adultère d’une femme de province. Philippe Doumenc lui préfère nous
interpeller sur le côté crapuleux de la mort d’Emma. L’inspecteur Remi arrive
de Rouen, interroge les suspects, mène son enquête. On retrouve, comme on verrait
le remake ou la suite d’un film aimé, les personnages connus de Flaubert :
l’agriculteur Tuvache ; l’abbé Bournisien ; le pharmacien Homais… Et la Normandie, pâteuse,
gluante, fantasme parisien de la province rurale originelle. Bref, on est en
territoire connu, on se sent bien et on prêt à suivre avec un certain intérêt
la contre-enquête de Doumenc. Ce
roman pourra sans doute donner envie à ceux qui n’ont jamais lu Flaubert de
sauter sur le roman. Pour les autres, il reste une interrogation. Mener une enquête
sur la mort volontaire ou non d’Emma est un jeu littéraire amusant, mais on
s’écarte de ce que fut réellement le roman de Flaubert en s’approchant trop
près du cadavre. Pour les flaubertiens, peu importe la mort d’Emma et sa cause.
Madame Bovary, c’est le style, c’est le roman moderne. Et c’est le livre qui
tue, c’est le livre qui sert d’arme contre une société corsetée, bourgeoise et
moraliste. Flaubert ne fait pas un roman historique. Il n’écrit pas un polar
tiré d’un fait divers. Il crée un chef d’œuvre. Doumenc le rappelle dans la
postface de son roman. Alors oui, cette contre-enquête est ludique et fait
passer un bon moment. Mais rien de plus. Laissons les héros de nos grands
romans où ils sont, Cosette a épousé Marius, Jacques Lantier se suicide et
Thérèse Desqueyroux « farda ses joues et ses lèvres, avec minutie ;
puis, ayant gagné la rue, marcha au hasard. » Eric Cabot
Contre-enquête
sur la mort d’Emma Bovary, Philippe Doumenc. ACTES SUD.